E-TIC: étude de cas

L’utilisation des technologies par des agriculteurs en Afrique de l’Ouest
Viola Krebs, Kate O' Dwyer, Namory Diakhate, ICVolunteers.org
29 mai 2012

Le projet E-TIC vise à fournir des outils et des éléments de formation de sorte que les petits agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs puissent mieux vendre leurs produits. À travers la mise en place du portail Internet www.e-tic.net et d'une série de formations destinées aux relais de terrain (jeunes, femmes, journalistes de radios communautaires), le projet E-TIC vise à transmettre des connaissances pertinentes pour une bonne gestion agricole.

Le projet E-TIC, initiative impliquant différents acteurs, est coordonné par l'organisation ICVolontaires. Il est mis en œuvre au Sénégal et au Mali (région du Sahel), avec l'appui du Fonds Francophone des Inforoutes et d’une série d’autres partenaires. La constitution d’un réseau dans le domaine agricole est également un objectif sous-jacent du projet. Ainsi, les relais de terrain jouent un rôle pluridisciplinaire de connecteurs, établissant une passerelle entre paysans et nouvelles technologies.

Une enquête approfondie et une étude de cas fournissent des informations sur l’utilisation efficace des technologies dans des zones rurales en Afrique de l’Ouest (Mali et Sénégal). La radio communautaire et les technologies de téléphonie mobile sont de loin les deux moyens les plus efficaces pour transmettre des messages aux populations locales. Étant donné qu’un pourcentage important de la population est analphabète et/ou parle une langue autre que le français, qui est enseigné à l’école, des pictogrammes et d’autres éléments visuels sont la bonne alternative pour transmettre des messages.

Le travail est structuré en sept points: 1) une enquête à l’aide d’un questionnaire, 2) des entretiens (audio et/ou filmés), ainsi que des échanges par groupes d’intérêt, 3) une recherche afin de placer le travail dans un cadre méthodologique et théorique, 4) l’organisation de réunions avec des groupes d’intérêt, 5) l’organisation de séminaires de formation, 6) l’établissement des collaborations avec les autorités des deux pays, 7) la mise en place de partenariats stratégiques pour le service SMS et le travail de recherche qui accompagne les actions de terrain.

Bien que le projet soit toujours en cours, quelques observations peuvent d’ores et déjà être esquissées en ce qui concerne l’utilisation des nouvelles technologies dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche au Sénégal et au Mali. Les séances d’échange, les premières formations, et l’enquête de terrain en lien avec les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs confirment qu’une large majorité de personnes de ces secteurs possède aujourd’hui des téléphones mobiles. Internet est disponible dans certaines régions reculées. Les journalistes des radios communautaires utilisent Internet comme source importante d’informations pour leurs émissions. Globalement, les agriculteurs ne semblent pas être assez avisés des conséquences souvent dramatiques des pratiques agricoles conventionnelles où trop d’engrais et de pesticides engendrent à terme un appauvrissement des terres et une diminution des récoltes. Les informations concernant les prix de marché pratiqués sont très utiles pour les petits agriculteurs et les éleveurs qui n’ont souvent pas la possibilité de connaître le cours de leurs produits.

Le projet E-TIC porte sur l’usage et l’utilité des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. Le résultat de ce projet a montré que les TIC ne sont qu’un moyen, mais ce moyen peut donner du pouvoir aux personnes s’il est utilisé de façon à ce qu’elles puissent s’aider elles-mêmes. Pour trouver le bon outil, on doit prendre en considération la situation et le contexte au niveau local, par exemple le fait que le taux d’alphabétisation adulte (% âgés de 15 ans et plus) est seulement de 26,2 pour le Mali et de 41,9 pour le Sénégal .

A part les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs, les autres acteurs impliqués dans ce projet sont des universités pour la collecte des données, des journalistes de radios communautaires pour la diffusion d’informations, que ce soit à travers la radio communautaire, la presse écrite ou la télévision, des opérateurs de téléphonie mobile, des volontaires, le gouvernement, les autorités locales et les ONG, qui contribuent tous à partager des informations relatives au projet.
A travers le réseau de professionnels et de volontaires de terrain, ICVolontaires a mené une enquête de terrain dans six régions du Sénégal et du Mali. Au Sénégal, cela a impliqué les communautés de Guédé-Chantier (Région de Saint-Louis), Meckhé (Région de Thiès), Mbam (Région de Fatick) et au Mali, les régions de Tombouctou, Ségou et Sikasso. Dans chaque cas, une attention particulière a été accordée au rôle des technologies de l’information et de la communication pour l’agriculture, l’élevage et la pêche.

ICVolontaires a voulu savoir quel type de questions se posaient les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs et le rôle que la technologie a joué et peut jouer afin de faire face à ces questions (ex : obtenir des prix de marché comparatifs, être informé sur l’assainissement, les pratiques d’agriculture biologique, les questions de santé pour les plantes, les animaux et les humains etc.). Les informations ont été récoltées par le biais d’un questionnaire standardisé distribué aux connecteurs de terrain (des représentants gouvernementaux,  des chefs des communautés, des volontaires déployés dans les six régions susmentionnées, des journalistes…). Un deuxième questionnaire a été élaboré spécifiquement pour les journalistes. Les questions posées sont liées aux activités principales des répondants, aux produits et aux marchés, à la propriété des terres cultivées, aux produits utilisés sur les terres et à l’information et la communication sur la vente des produits. Étant donné que la majorité des personnes du premier groupe interrogées ne maîtrise pas le français écrit, le questionnaire a été rempli par des connecteurs (volontaires de terrain). Ces volontaires ont été déployés dans six régions principales. Pour le Sénégal, il s’agit de Guédé-Chantier dans le Podor, de Méckhé dans le Tivaouane et de Mbam dans la région de Fatick. Pour le Mali, les volontaires-connecteurs de terrain ont travaillé dans les régions de Tombouctou, de Ségou et de Sikasso.

Une série de formations a été organisée, en particulier pour les relais de terrain (des jeunes, des femmes, des journalistes des radios communautaires). Les formations comprenaient la formation aux TIC, avec une attention particulière apportée à l’utilisation d’Internet pour les références et les recherches et l’utilisation des téléphones mobiles pour l’envoi et la réception des SMS, ainsi que la diffusion des informations à travers des réseaux.

Résultats

Les informations récoltées jusqu’à maintenant à travers l’étude de terrain indiquent que les téléphones mobiles ainsi que la radio communautaire sont les moyens de communication actuels les mieux adaptés. Lorsqu’il est accessible, internet constitue également une source importante d’information. Toutefois, alors que beaucoup de cybercafés ont vu le jour dans des grandes villes au cours de la dernière décennie, l’utilisation d’Internet dans les zones rurales du Sénégal et du Mali reste marginale. Cela peut évoluer au cours des prochaines années, avec le développement de nouvelles applications Web mobile adaptées (informations concernant la météo, les marchés et la santé des animaux transmises par un téléphone portable). Quand ICVolontaires a d’abord commencé son travail à Tombouctou en 2002, un cyber café était disponible, mais il n’y avait aucune couverture de téléphonie mobile. Aujourd’hui, beaucoup d’éleveurs dans le désert utilisent des téléphones mobiles et se servent de panneaux solaires pour les recharger.

L’enquête menée par le biais d’un questionnaire standardisé a jusqu’à présent permis d’obtenir les réponses de 132 familles d’agriculteurs, d’éleveurs et de pêcheurs à Guédé-Chantier, Méckhé et Mbam (Sénégal) et à Tombouctou, Ségou et Sikasso (Mali). En ce qui concerne l’activité principale des répondants, 46,5% sont impliqués dans l’agriculture, 42,6% sont impliqués dans l’élevage et 14% sont impliqués dans la pêche (en rivière).

La majorité des personnes interviewées vendent leurs produits au marché local ou dans les villages voisins. De tous les produits vendus, 28,6% des répondants vendent directement au consommateur, 46,4% passent par des intermédiaires, et 25% font les deux. Alors que la majorité d’entre eux obtient la plupart des informations par discussion directe, beaucoup d’entre eux indiquent qu’ils utilisent également des téléphones mobiles pour partager des informations obtenues.  Les commerçants trouvent les services SMS et les applications de paiement mobiles bien utiles.

52,4% des personnes interrogées indiquent qu’elles déterminent le prix d’au moins un de leurs produits, 40,3% des répondants indiquent qu’ils passent par des intermédiaires qui déterminent les prix, et 12,1% indiquent qu’ils se réfèrent à une coopérative ou à une association. 10,4% déclarent qu’ils appliquent les prix proposés par les grossistes, une usine ou des entités centralisées par le gouvernement comme le SAED au Sénégal du Nord.

Des répondants affirment qu’obtenir des informations météorologiques, les prix de marché, des informations relatives à la santé des animaux et des tutoriels pratiques seraient utiles.

Au Sénégal, environ 70% de la population active est impliquée dans l’agriculture (y compris la foresterie, l’élevage et la pêche). Les langues suivantes sont parlées par la population au Sénégal: le français (officiel), le balanta-ganja, le hassaniyya, le jola-fonyi, le mandinka, le mandjak, le mankanya, le noon, le pulaar, le serer-sine, le soninke, et le wolof. Le taux d’alphabétisation moyen dans le pays et de 39,3%, soit 51,1% pour les hommes et 29,2% pour les femmes.

Au Guédé-Chantier, bien que membre du réseau des éco-villages au Sénégal depuis 2007, les pratiques agricoles sont pour la plupart conventionnelles, avec l’utilisation répandue d’engrais et de pesticides. Les agriculteurs dans la région n’ont pas suffisamment de connaissances en pratiques agricoles biologiques. En ce qui concerne la vente de leurs produits, les denrées telles que les tomates et le riz sont souvent vendues à un prix plus bas que ce qu’ils pourraient obtenir s’ils avaient des informations plus complètes et précises concernant les marchés. « Des fois, nous avons l’impression que notre village est isolé », relève un agriculteur. « Nous avons des problèmes à vendre nos produits. La spéculation nous oblige à vendre à des prix très bas. »  Quant aux éleveurs, ils vendent généralement leurs animaux sur le marché local, comme c’est le cas pour les poissons de rivière vendus par les pêcheurs. 80% des habitants de Guédé-Chantier sont des agriculteurs; 20% sont des pêcheurs, commerçants ou employés communaux. En ce qui concerne la communication, le téléphone portable est le moyen de communication le plus commun, toutefois, on pense que la mise en place d’une radio communautaire serait également très utile. Il existe une connexion Internet dans un cybercafé qui, jusqu’à présent, n’est que trop peu utilisée. Un nouveau centre de formation en informatique a aussi été mis en place par EERV, une organisation à but non lucratif. Le centre est géré par une association locale de gestion et est équipé de 30 ordinateurs.

En ce qui concerne Meckhé, l’agriculture joue également un rôle important. Les deux principales denrées cultivées sont l’arachide et le manioc, ce qui est principalement dû au fait que ces cultures n’ont pas besoin d’une énorme quantité d’eau, car le village n’a que trois mois de précipitations par an. Les terres se sont appauvries à cause de la sur exploitation et de l’utilisation des pesticides et des engrais chimiques. Beaucoup d’agriculteurs savent que les pesticides ne sont pas bons pour les terres. Ils remarquent que chaque année ils doivent ajouter de plus en plus de produits chimiques. Donc, des solutions alternatives seraient les bienvenues, mais beaucoup d’agriculteurs ne savent pas comment effectuer le changement. Le partage des meilleures pratiques agricoles est donc important pour préserver environnement et habitat naturel. Les technologies de l’information et de la communication peuvent jouer un rôle dans ce partage d’informations. Un centre d’informatique a été mis en place dans le village ainsi qu’un cybercafé privé, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires pour mettre ces outils à disposition de la population.

À Mbam, on a trouvé que l’arachide représente la denrée la plus cultivée malgré le fait que sa distribution est difficile. Le millet  est également très présent. Pourtant, les deux cultures sont principalement destinées à la consommation directe des habitants et seulement une partie des récoltes est vendue. Le maraîchage représente également une partie important de l’agriculture de cette région. Les agriculteurs ont tendance à utiliser des engrais chimiques qui mènent à l’appauvrissement des terres. L’élevage est aussi une activité importante dans la région. Toutefois, les éleveurs sont confrontés à des problèmes de maladies animales. Ceci est en partie dû au fait que les animaux ne sont pas vaccinés assez souvent et ne reçoivent ni vitamines ni traitements de déparasitage. L’outil de communication le plus présent est le téléphone portable, largement utilisé pour la communication par SMS, beaucoup plus que pour des appels téléphoniques. Comme le relève M. Sarr, représentant local du GEN (Global Eco-Village Network) à Mbam, « Si c’est pour parler à mon voisin, pourquoi gaspiller des crédits sur mon téléphone? Mais j’ai des clients qui vivent en dehors du village. Je peux les appeler pour leur faire savoir que les cultures sont prêtes à être vendues. »

En ce qui concerne l’économie du Mali, l’agriculture et l’élevage représentent des secteurs essentiels dans le pays. Toutefois, seule la partie sud du Mali est favorable à l’agriculture et moins de 2% de la superficie du pays est cultivée. Le Mali est confronté aux problèmes environnementaux de la sécheresse, de la déforestation, de l’érosion des sols, de la désertification et de l’approvisionnement insuffisant en eau potable. Les langues parlées par la population sont : le français (officiel), le bambara (Bamanankan), le bomu, l’arabe hasanya, le fulfulde de Maasina, le mamara senoufo, le kita maninkakan, le koyraboro senni songhaï, le pulaard, le songo, le soninke, le syenara le senoufo, le tamasheq, le tieyaxo bozo, le dogon toro so, et le xaasongaxango.

Dans la région de Tombouctou au Mali, le blé et le riz (irrigués avec de l’eau du Niger) sont les principales denrées cultivées au Mali et l’élevage représente une activité importante, occupant près de 60% de la population. L’élevage est pratiqué selon trois modes : transhumant, nomade et sédentaire. Les animaux sont vendus au marché de Tombouctou, sont achetés par des marchands qui les vendent plus loin aux grands marchés d’animaux en Mauritanie et en Algérie. La spéculation est un enjeu ici où les éleveurs locaux ne sont payés qu’une fraction du prix auquel les animaux sont vendus plus loin dans la chaîne de valeur. Donc, pour les éleveurs qui souhaitent vendre leurs animaux, ce serait utile de pouvoir obtenir des informations concernant les prix à  l’avance, afin d’obtenir un prix équitable dès le départ. Surtout que beaucoup des éleveurs sont analphabètes, le moyen de communication le plus utile pour eux, dans ce sens, serait la radio communautaire. Il existe une radio communautaire, « Radio Boctou », ainsi qu’une radio régionale et une chaîne de télévision nationale. Les téléphones mobiles sont également largement utilisés et il existe plusieurs points d’accès Internet à Tombouctou.

Dans la région de Ségou du Mali, la population est constituée en grande partie de nomades, de semi-sédentaires et de sédentaires. Ségou produit la plus grande proportion des denrées au Mali. Des céréales, dont le millet et le blé, des légumes et des tubercules (pommes de terre, patates douces) sont cultivées ici. On remarque que les agriculteurs, les éleveurs et les pêcheurs ont tous besoin d’être formés sur les nouvelles techniques et méthodes afin d’augmenter la rentabilité de leur production. En ce qui concerne la communication, il existe un certain nombre de cybercafés dans la région.

Une activité agricole importante a lieu dans la région de Sikasse du Mali. Elle agit comme un carrefour entre les pays côtiers (Togo, Bénin, Ghana, Côte d’Ivoire) et le littoral du Mali et du Burkina Faso.
Du point de vue de la communication, le wolof est la langue la plus représentée parmi les populations ciblées du Sénégal comme c’est le cas pour le bambara pour les populations ciblées du Mali. Il est important de trouver des moyens pour utiliser ces langues au niveau local, à travers l’utilisation des radios communautaires et des téléphones mobiles, et à un niveau plus global, à travers les traductions du site internet et de la plate-forme internet E-TIC afin d’atteindre ces populations.

Les téléphones mobiles en Afrique de l’Ouest

  • En 2009, la population estimée du Sénégal était de 13,7 millions d’habitants . Le nombre d’abonnements de téléphones portables (pour la plupart cartes prépayées) était en 2008 de 5,4 millions. Cela veut dire qu’un habitant sur 2,5 environ dispose d’un téléphone portable. Dans un contexte où 42,2% de la population est âgée de moins de 15 ans, ce ratio est doublé pour les personnes ayant plus de 20 ans.
  • Pour le Mali, ce ratio est légèrement plus bas, mais reste significatif. Pour une population estimée à 13,4 millions d’habitants (2009) , on comptait 3,4 millions d’abonnements de téléphones portables en 2008 (y compris cartes prépayées). Cela signifie qu’un habitant sur quatre environ dispose d’un téléphone portable. Avec 48,3% de la population âgée de moins de 15 ans, l’utilisation de téléphones portables est répandue chez 50% de la population de plus de 20 ans.
  • Au Mali, on compte 168 radios dont 121 radios communautaires et associatives, 38 radios commerciales et 9 radios confessionnelles (chiffres de l’Union des Radios et télévisions libres du Mali – URTEL). La liste complète des radios indépendantes du Mali est disponible en annexe du présent rapport.
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